« Normalité et pensée opératoire »

Ce texte reprend les éléments principaux de l’article de R.Debray de 1974 du même nom.

 

 

« Le terme de normalité comporte un double aspect :

     tout d’abord celui de référence à la norme, c’est-à-dire à la moyenne, à la normale au sens statistique du terme.

     Et par ailleurs l’absence de perturbations mentales caractérisées qu’il suppose.

Dans cette double perspective, serait reconnu comme « normal » l’individu, enfant ou adulte, qui ne s’écarterait pas notablement de la moyenne des individus de son groupe social et qui ne singulariserait pas outre mesure ni au niveau de son comportement, ni au niveau de son organisation mentale, ni au niveau de ses acquisitions scolaires, notamment en ce qui concerne les enfants. Ce serait donc, par définition, l’individu que nous ne voyons pas dans notre pratique de psychologue, de pédagogue ou de thérapeute, mais auquel il nous arrive pourtant de rêver souvent, lorsque dans nos activités de recherche nous fantasmons cet idéal groupe-témoin, d’individus normaux par rapport auquel nos groupes pathologiques prendraient enfin une consistance irréfutable (…).

L’aspect quelque peu mythique de cette notion de normalité nous est apparu de plus en plus clairement dans nos recherches sur le T.A.T. et, reprenant la nomenclature retenue au niveau de l’O.M.S., nous parlons d’organisations entrant dans le cadre des variations de la normale. Notre norme alors s’assouplit et s’étend, elle perd son aspect linéaire pour devenir au contraire une notion dynamique caractérisée essentiellement par la souplesse et la réversibilité des mécanismes engagés.

(…)Une organisation mentale riche s’appuiera sur un éventail défensif large et varié, permettant d’aboutir à des aménagements souples qui pourront être remis en question en fonction de modifications internes ou externes.

Parler d’aménagements défensifs souples et variés, c’est parler d’organisations mobiles, non figées, révélant une certaine perméabilité entre les différences instances psychiques. Il faut donc que le préconscient ait une valeur fonctionnelle efficace jouant comme un filtre, un modérateur, voire un tampon. De même, il faut que le Surmoi ait des caractéristiques individuelles nuancées et originales qui permettent de les faire admettre par le Moi.

Mais alors, et la « pensée opératoire » (De M’Uzan & Marty)? À l’origine, ce mode d’activité mentale qu’ils considéraient comme caractéristique des malades psychosomatiques, se « présente comme une activité consciente sans lien organique avec un fonctionnement fantasmatique de niveau appréciable, elle double et illustre l’action sans vraiment la signifier, et cela dans un champ temporel limité ». « Elle révèle une véritable carence des activités de représentation » ; et même si elle ne se présente pas comme « une pensée rudimentaire, car elle peut être féconde techniquement dans le domaine de l’abstraction par exemple…il lui manque toujours la référence à un objet intérieur vivant ».

Les auteurs sont amenés à proposer une sorte de « portrait-robot » du malade psychosomatique : « Il s’agit d’un sujet qui donne l’impression première d’une adaptation sociale correcte, voire excellente, qui ne présente pas d’organisation névrotique ou psychotique à proprement parler, et chez lequel l’écart par rapport à la norme paraît exclusivement lié aux anomalies somatiques » ;  « L’absence de liberté fantasmatique constitue l’une de ses caractéristiques les plus importantes, pour nous, l’un des éléments sémiologiques essentiels. (…) Il y a une pauvreté de la rêverie comme de la vie onirique, un appauvrissement des échanges interpersonnels, associé à un dessèchement et une sclérose de l’expression verbale. (…) En un mot, on a le sentiment net que le sujet est coupé de son inconscient ».

(…)Des liens paradoxaux semblent unir normalité et pensée opératoire : en effet, les opératoires passent auprès de nombreux médecins pour des individus dénués de troubles mentaux – parce qu’il n’y a pas de symptomatologie mentale positive – et parfaitement « équilibrés ».

Néanmoins, on peut caractériser l’atteinte opératoire par la perte de la valeur fonctionnelle du Surmoi pour la seconde topique, par la perte de la valeur fonctionnelle du préconscient pour la première. Le préconscient semble disparu ce qui entraîne, nous dit Pierre Marty, le fait que « l’inconscient n’est plus représenté et ne paraît plus représentable ».

Nous le voyons, nous sommes ici très loin du fonctionnement mental riche et souple, mais marqué par la présence de défaillances dans la qualité de l’élaboration secondaire trahissant la pesée des fantasmes inconscients sous-jacents que nous avions évoqué précédemment. Pas de « craquées » (réf. T.A.T.) liées aux émergences en processus primaire chez les opératoires, mais au contraire une défense serrée par l’accrochage à une réalité concrète, objective, palpable ; pas de fuite dans la fantaisie, pas de mythomanie, pas de curiosité relationnelle.

En somme, dans une perspective où on intégrera les données fournies par le groupe psychosomatique de Paris, la notion de santé mentale ne s’appuiera plus sur un concept mettant en jeu l’idée de normalité, mais plutôt sur la présence, la richesse et la valeur fonctionnelle de mécanismes névrotiques bien mentalisés. »

 

Duarte Rolo

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