André Green : psychose blanche, folie privée et travail du négatif

André Green est un penseur contemporain rigoureux. On lui doit l’apport du négatif en psychanalyse, trop ambitieux pour pouvoir être introduit ici. En revanche, nous pouvons introduire la pensée du blanc.

Cri Munch André Green

Remarque:

Cet article appartient a une série d’article publiés sur le site Philautarchie aujourd’hui fermé. Ces articles n’étant plus disponible sur le net, je me suis permis d’en présenter certains. N’hésitez pas à consulter un article que j’avais rédigé en 2008 à ce sujet sur Paradoxa et à consulter le forum Digression qui est en quelque sorte le continuateur de Philautarchie.

Article mis à jour le 20/04/2020

La folie privée

Processus primaires et processus secondaires

Freud dans un premier temps, distinguait l’inconscient du conscient. L’inconscient était soumis aux processus primaires (qui visent le plaisir et la décharge), alors que le conscient était soumis aux processus secondaires (plus élaborés, comme les mots, les pensées). Conscient et Inconscient étaient séparés. Par la suite, face au fétichisme par exemple, face à la perversion ou à l’enlisement de certaines cures (comme celles de l’Homme au Loups) il commença à se dire que c’était peut-être plus compliqué. Le Moi peut par exemple entendre la réalité, mais tout en même temps la nier. Le pervers peut tout à la fois savoir que sa mère est une femme, qu’elle n’est pas phallique, et tout en même temps le refuser, fétichisant le pied comme un pénis féminin. Le Moi peut ainsi posséder différentes zones qui s’accommodent plus ou moins bien entre elles. Processus primaires et processus secondaires peuvent coexister sans se mélanger.

Prenons un exemple trivial et actuel:

Processus Secondaire: Dans mon quartier, c’est la misère, j’aimerai que ça aille mieux.

Processus Primaire: Je fous le feu à mon quartier.

Deux logiques différentes qui se jouent toutes les deux, sans se croiser. Naturellement, tout le monde va crier : « ce n’est pas logique, vous vous contredisez ». C’est simplement parce qu’il y a coexistence de deux façon de pensées qui s’ignorent, qui ne se mêlent pas.

Le clivage du moi

 Finalement, dans le Moi peut coexister des zones primaires, des zones brutes qui visent la décharge, des zones psychotiques, et des zones plus élaborées, plus secondarisées. Si c’est le refoulement qui sépare le conscient de l’inconscient, c’est le clivage du Moi qui fait coexister deux manières de penser différentes. C’est la cliniques des cas limites (ou Border-Line, ou État-limite) qui s’ouvre. Les état-limites sont en « limite d’état », c’est-à-dire ni franchement névrosé, ni franchement psychotique, un peu des deux. Dans le Moi existerait des zones brutes, informes, passionnelles. C’est ce qu’André Green nomme la Folie Privée.

Alors comment lier ces deux logiques différentes, celles des processus primaires et secondaires, si tout deux s’excluent sans s’entendre l’une et l’autre ? Comme lier la pensée élaborée et la matérialité sourde qui gronde ? Pour André Green, il ne s’agira jamais d’étouffer la passion de la Folie Privée sous les mots du Secondaire, mais de lier le plus possible par les processus tertiaires. Les processus tertiaires sont la liaison entre le primaire, et le secondaire, liaison entre pensée et passion, entre ça et Moi.

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Fantasme de la mère morte, narcissisme de vie et narcissisme de mort

Quelles sont les modalités de ce secteur touché par la Folie privée ? Sans être du délire comme dans la psychose, ni dépression, la psychose blanche (telle que Green la nomme) touche la pensée elle-même. Être frappé de blanc, d’incapacité à penser, se sentir vide, avoir la tête vide, trouée… S’ouvre la passionnante clinique du vide. Pensons par exemple a celui qui mange sans mâcher, qui se remplit, ou à celui qui parle, parle, parle, parle, pour remplir un vide, une absence profonde de sens.

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La mère morte

La psychose blanche agit comme une paralysie de la pensée.Green apporte alors dans un article qui a fait date (Narcissisme de Vie, Narcissisme de Mort) le concept de mère morte. La mère morte n’est pas réellement morte, mais psychiquement morte. Accaparée par la dépression, par la souffrance, la mère désinvestit l’enfant, laisse un vide… Tout ce que l’enfant a, c’est un trou, un vide, qui est préférable à rien n’avoir. Alors, il s’identifie négativement à ce vide, ce trou, trouant ainsi son Moi, laissant du blanc.

L’informe, l’absence de contenant, seront les caractéristiques de ce secteur de la pensée. Le sujet est ainsi mobilisé par cette dame blanche.

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Clivage et pensée

Reprenons les deux pulsions originaires : La pulsion de vie lie alors que la pulsion de mort sépare et disjoint. Deux énoncés contradictoires peuvent ainsi se lier ou alors devenir paradoxaux. Le devenir paradoxal est le fruit de clivage. Le clivage coupe, pose un hiatus sans communication, la pensée est déliée et semble incohérente. La déliaison du clivage lorsqu’elle touche la pensée est ressentie comme une paralysie intellectuelle, comme des trous dans la tête…

Le clivage lui, n’est pas l’expulsion dans l’inconscient d’un contenu symbolisé, puisqu’il traite avec des contenus asymbolisés, des contenus informes. Pour ne pas en entendre parler, c’est tout la subjectivité qui se retire du clivé, qui se retire de l’expérience qui n’a pu trouver une place dans la vie subjective. Si le retour du refoulé est angoissant, le retour du clivé est vécu comme une agonie, une grave menace. Pour chasser le clivé, celui va exploser en un passage à l’acte ou dans une décharge psychosomatique.

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Le travail du négatif

On peut résumer tout ça comme suit : La pulsion de mort forme des hiatus, des blancs. Mais pourtant, si le blanc excessif immobilise la pensée, il reste nécessaire. Un exemple tout simple : l’exercice de pensée, d’articulation, de critique, est un exercice qui découpe. Articuler deux concepts, c’est mettre du blanc entre eux, c’est disjoindre, couper.

Le travail du négatif est ainsi un travail de la pulsion de mort qui permet la pensée. Bref, c’est la mort qui permet à la vie d’être. On peut ainsi définir une certaine topologie du blanc, que Green tente de mettre en place dans L’enfant de ça. Si la pensée advient sur du blanc, qui permet de disjoindre les éléments, alors ce blanc est structurant. Le Moi et le ça s’appuient dessus, le blanc créant de la pensée et par la même, créant de l’inconscient car effectivement, l’inconscient névrotique est fait d’éléments refoulés déjà symbolisé.

Or, chez le psychotique, le Blanc est trop vaste, destructure la psyché. Le psychotique est contraint d’une part à remplir ce blanc, à sursignifier, et ce, par le délire, par exemple. D’autre part, il est aspiré par ce blanc, par ce zéro, par le vide de la désignification.

Mais la pensée de Green est complexe, subtile, nuancée. On ne peut se passer de lire et relire ses ouvrages, incontournables pour la pensée clinique contemporaine.

   

Pour aller plus loin:

André Green : Eros et Thanatos

Une vidéo dans laquelle André Green expose les concepts de pulsion de vie et de mort, selon Freud et selon ses propres travaux. (extrait de la série « Les Mots de la Psychanalyse » diffusée en 1996 sur France 5)

 

André Green : Sources et bibliographie:

-Principaux ouvrages d’André Green:

Green A. (1976), La folie privée, Gallimard, 1990.

Green A. (1980), Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Éditions de Minuit, 1983.

Green A. (1993), Le travail du négatif, Éditions de Minuit.

Green, A., Penser la psychanalyse avec Bion, Lacan, Winnicott, Laplanche, Aulagnier, Anzieu, Rosolato, Paris, Ithaque, 2013,

 
Travaux sur André Green:

-Articles:

Baldassarro, Andrea. « André Green et le négatif à l’œuvre », Revue française de psychosomatique, vol. 52, no. 2, 2017, pp. 135-150.

Combe, Colette. « Narcissisme de vie, narcissisme de mort : André Green, lecteur d’André Green », Marie-Claire Durieux éd., Le narcissime. Presses Universitaires de France, 2002, pp. 107-130.

Mancini, Robert. « “ La pensée clinique ” d’André Green », Revue française de psychanalyse, vol. vol. 68, no. 1, 2004, pp. 287-298.

Papageorgiou, Marina. « Hommage à André Green », Revue française de psychosomatique, vol. 42, no. 2, 2012, pp. 11-18.

-Ouvrages:

 Duparc, François, André Green, Paris, PUF,  1996

Kohon, G., Essais sur la Mère morte et l’œuvre d’André Green, Paris, Ithaque, 2009,

Cupa,Dominique et  Pirlot, Gérard, A. Green. Les grands concepts psychanalytiques, PUF, 2012.

-Chapitre d’ouvrages

Estellon, Vincent, « ANDRÉ GREEN, « La mère morte » (1980) »,in 45 commentaires de textes en psychopathologie psychanalytique. Dunod, 2012, pp. 119-127.

vincent Joly
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13 thoughts on “André Green : psychose blanche, folie privée et travail du négatif

  • 17 septembre 2009 at 20 h 18 min
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    Et si on introduit les neurones miroirs dans ces réflexions ?

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  • 19 septembre 2009 at 12 h 54 min
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    Et si on introduit les neurones miroirs en histoire ou en critique littéraire? 🙂
    Sérieusement, je pense que la psychologie est une discipline jeune et qu’il ne faut pas avoir peur de maintenir des discours éclairant de manière différente un même phénomène.

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  • 9 août 2010 at 18 h 10 min
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    je suis consideree trouble schizophreniforme sans symptome positif mais de la dissociation et un isolement par un psychiatre je suis aller en psychiatrie contraint par la famille sous traitement depuis 6 ans
    ayant un niveau 3/4 EN PSYCHOLOGIE CLINICIENNE et AYANT PARTICIPEE A DES CERCLES LACANIENs je suis une antipsychiatrie de formation et personnel
    lement
    cette annee je vais terminer mes etudes pour avoir le diplôme de psychologue clinicienne
    sous traitement ca va etres plus difficile avec le médicament en injection abylifi
    j ais la structure lacanienne psychotique pour moi schizophrène
    j aimerais que vous m informier sur la psychose blanche sans symptomes positifs(un resume)

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  • 17 juin 2011 at 15 h 21 min
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    Est-ce que vous diriez que l’on peut ne pas retrouver d’éléments indicatifs de cette psychose blanche lors d’un test projectif tel le Rorschach?

    Lors de mon stage en psychiatrie dans une unité de troubles anxieux et dépressifs, j’ai eu le cas d’une patiente qui présentait une pensée psychotique, très rigide, automatique, hors lien social. Elle avait beaucoup de difficultés à exprimer ses émotions, exprimer tout court, et me rapportait un vide interne de façon répétitive. J’ai senti une détresse terrible lorsque lors d’un entretien elle m’a confié qu’elle ne pouvait plus continuer à être hospitalisée tant elle s’ennuyait. Son inactivité dans l’institution semblait vraiment la ronger et elle avait un besoin constant d’occuper entièrement son temps, simplement s’asseoir au soleil et profiter lui était impossible. Elle avait fait plusieurs tentatives de suicide, qui lui étaient venues sans qu’elle ne sache pourquoi, d’un coup, il le fallait (sans pour autant qu’elle m’ait parlé de volonté « extérieure »)

    Le service m’a demandé de lui faire passer un test projectif pour avérer cette psychose suspectée, qui n’a rien relevé de saillant de ce côté là. Les réponses étaient très pauvres, hyper adaptées ; on ne pouvait donc pas confirmer ce diagnostic, c’en est resté là.
    J’ai pensé à la psychose blanche, mais proposer cette théorie dans un service où les choses sont très automatisées, et averées « scientifiquement » était compliqué.

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  • 20 juillet 2011 at 23 h 45 min
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    Bonjour,

    « Processus primaires et processus secondaires peuvent coexister sans se mélanger. Prenons un exemple trivial et actuel: Processus Secondaire: Dans mon quartier, c’est la misère, j’aimerai que ça aille mieux. Processus Primaire: Je fous le feu à mon quartier. Deux logiques différentes qui se jouent toutes les deux, sans se croiser. Naturellement, tout le monde va crier : « ce n’est pas logique, vous vous contredisez ». C’est simplement parce qu’il y a coexistence de deux façon de pensées qui s’ignorent, qui ne se mêlent pas. »

    A mon humble avis, cet exemple représente mal la théorie avancée.

    Je m’explique :

    Le jeune qui brûle son quartier le fera avec des copains. Son but n’est pas de détruire le quartier. Non. Son but est simplement d’entretenir une image qu’il cultive.

    Bien à vous

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  • 24 août 2012 at 9 h 09 min
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    @Jasper.
    Bonjour. Votre remarque ne contredit pourtant pas l’auteur, qui note juste que des logiques opposées peuvent cohabiter dans un même être. L’auteur d’ailleurs n’avance aucune raison qui expliquerait que le jeune mette le feu. Il signale que cela peut cohabiter avec un discours du type « j’aimerais que cela aille mieux ».
    On peut imaginer mille « raisons » qui pousseraient le jeune à mettre le feu (dont celle que vous avancer). Il reste que c’est la juxtaposition de « mettre le feu » et « j’aimerais que cela aille mieux  » qui fait ici l’objet l’attention de l’auteur.
    Cordialement, FA.

    Reply
  • 25 juillet 2014 at 15 h 49 min
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    @ Gisèle, vous avez une « psychose blanche »… et vous vous en servez pour soigner vos futurs patients…. C’est insoignable.
    Je trouve cela très intéressant ces études de psychologies pour « soigner les autres »…
    Je vous considère immédiatement comme un psy dangereux.

    La psychose blanche est désormais associée par certains experts en agressologie à de la perversion narcissique paranoiaque avec des critères de psychopathie associée.

    Très intéressants ces études de psychologies pour soigner les autres…

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  • 25 juillet 2014 at 16 h 02 min
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    Juste pas de « symptôme positifs ».. Mais attention… la structure Lacaniène comme ‘faire valoir’….
    Je suis juste révoltée par ces psy qui se soignent aux travers de leur futurs patients en se faisant valoir de pseudo cercles psychanalytiques comme ‘billet d’entrée’.

    On attend votre confirmation Madame… J’ai lu « Le pervers narcissique en psychanalyse »… Il n’est jamais confirmé par le psychanlyste… C’est juste la manipulation et la vacuité…

    Mais fort heureusement, vous avez fait des études de psycho pour vous en servir comme tramplin social et mieux pervertir vos ‘futurs’ patients…

    Oui, je m’insurge… Car je ne suis pas aveugle.

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  • 25 juillet 2014 at 16 h 28 min
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    C’est quand même assez curieux qu’il n’y est personne qui se « mouille » pour lui dire ses 4 vérités !

    On analyse, on se fait des noeuds au cerveau pour expliquer, analyser… mais on oublie de lui dire qu’elle s’est juste ‘trompée de filière’… et qu’elle est dangereuse.
    Faites de la prévention sur votre site svp…

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  • 25 juillet 2014 at 16 h 42 min
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    Je vous aime bien… Mais je suis aussi sur un autre site et c’est des claques qui sont balancées…. y compris aux psy qui se trompent de fillère…

    Oui evidemment le pro n’a rien n’a rien à perdre à foutre une claque car la psychanalyse est achevée… confirmée, certifiée, encore supervisée jusqu’à la mort… que la systémie n’a pas de de secrets, que les interventions curieuses sont vues 5 coups à l’avance et que la justice est dans le coin….

    Informez et agissez svp dans l’ici et maintenant….la psychanalyse utile, c’est pas des noeuds aux cerveaux. Qui est votre public ? Les futurs psy ‘borderline’ et ‘pervers’ ou les patients avertis ?

    Concertez vous et faites un choix.

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  • 27 juillet 2014 at 8 h 13 min
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    Pas évident. Il y a des éducateurs qui ont fait de la prison, ils comprennent mieux les délinquants, des psy qui ont eu des angoisses épouvantables. Le problème est d’en être sorti si on veut commencer à aider les autres. Ça ne marche pas à tous les coups.

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  • 31 juillet 2014 at 9 h 50 min
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    « Le problème est d’en être sorti si on veut commencer à aider les autres…  »
    Voilà…

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  • 20 mars 2016 at 18 h 32 min
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    Sincerement Laure, comment pouvez vous dire que Gisele est une perverse narcissique ?Rien n’indique cela mais peut etre la connaissez vous ? je n’arrive pas a comprendre ce déchainement contre cette femme qui souhaite juste devenir psychologue.

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