Effets psychologiques de la publicité

La publicité occupe une place centrale dans notre société. Mais quel impact a-t-elle sur le développement psychologique, affectif et social des enfants?

Si les liens entre la publicité et l’obésité chez l’enfant commencent à être assez bien connus, ses conséquences sur son développement psychologique et affectif sont encore sous estimés. Pourtant, comme nous allons le voir dans cet article, les effets psychologiques de la publicité pour enfant constitue un véritable enjeu de santé publique.

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La publicité, un immense marché économique

La place de la publicité, est essentielle dans les médias et en particulier à la télévision. D’une manière générale, le marché publicitaire est immense et en essor quasi continu depuis des décennies.

Ainsi, pour l’année 2017, le Baromètre unifié du marché publicitaire (bump) évaluait à plus de 13,2 milliards d’euros les recettes publicitaires nettes des médias2, en hausse de 1,2% par rapport à 2016. Vaste secteur de l’économie française, le marché publicitaire dénombre 27 347 annonceurs actifs en 2018.

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Omniprésence des publicités

Géant économique, la publicité est omniprésente. À la télévision, elle peut représenter jusqu’à 20 % du contenu (12 minutes par heure) et certaines chaînes ne se privent pas pour dépasser ces réglementations3.

On se souvient ainsi, qu’en 2004, Patrick Le Lay, alors à la direction de TF1, annonça sans ambages qu’à la télévision, « ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». La phrase jugée choquante ou révélatrice selon les points de vue, fit grand bruit à l’époque. La situation n’a guère évolué depuis et comme l’écrit Antonio Molfese sur le site d’Acrimed,  « quand on regarde la télévision, on se demande parfois si c’est la publicité qui interrompt les programmes ou si ce sont les programmes qui interrompent la publicité »1.

Au delà de la télévision, la publicité a massivement envahi les nouveaux médias (internet, mobile, réseaux sociaux) dont la part de marché dans le budget global de la publicité est en constante augmentation. En outre, la publicité avance de plus en plus souvent masquée : placement produit, « publirédactionnels » dans les pages des magazines, insertion dans les jeux vidéos, etc.

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La publicité cible les enfants.

Comme l’explique Julien Intartaglia, chercheur en sciences de l’information et de la communication, auteur de Générations pub. De l’enfant à l’adulte, tous sous influence? :

Depuis une vingtaine d’années, l’enfant consommateur est devenu de plus en plus un acteur social au sein du foyer, remarque le chercheur. Alors qu’il n’y a souvent plus qu’un ou deux enfants par famille, ils ont davantage de pouvoir. Très tôt, ils deviennent prescripteurs de tendances. Dès 4-5 ans, certains ont des préférences très affirmées pour des marques

(cf.l’article sur 24h.ch).

Les publicités ciblent donc les enfants lorsqu’ils vendent des produits qui les concernent directement: produits alimentaires, jouets, habillement… mais également pour vendre des produits qui concernent d’abord leurs parents: voitures, produits ménagers, habillement pour adulte, banque, etc.

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Un exemple: La publicité pour la peugeot  208

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L’enfant, un prescripteur d’achat

L’enfant est donc vu comme un prescripteur d’achat pour toute la famille. Dans les magasins, ses choix seront très souvent suivis. De plus, l’enfant n’a pas encore le sens critique d’un adulte et est plus influençable. Last but not least, les enfants passent beaucoup de temps devant la télévision et les écrans en général, ils représentent donc une cible particulièrement attrayante pour les publicitaires.

Comme le fait remarquer Sandra Calvert, psychologue du développement et de l’enfant, auteure de Children’s Journeys Through the Information Age : « les enfants, et particulièrement les plus jeunes, sont principalement exposés à la publicité et au marketing au sein du foyer »11.

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Absence de législation

Si les publicitaires ciblent les enfants, ce n’est pas qu’ils sont machiavéliques ou animés de mauvaises intentions. Simplement, en l’absence d’une législation contraignante, ils cherchent à être le plus efficace et le plus professionnels possibles.

Certains pays ont, contrairement à la France, pris des mesures. Ainsi, au Danemark, et ce depuis 1997, une loi précise que « les enfants de moins de 14 ans ne peuvent figurer dans les publicités télévisuelles que si leur présence est indispensable pour expliquer ou démontrer l’utilisation d’un produit spécifique à l’enfant ».

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100.000 spots publicitaires vus en moyenne avant l’âge de douze ans

Selon une étude Ipsos pour Gulli datant de 20154, les enfants âgés de 4 à 14 ans passent en moyenne trois heures par jour devant le petit écran (soit 30 minutes de plus que quatre ans auparavant). Or aujourd’hui, d’après Serge Tisseron5, professeur à l’Université Paris VII, 11 % du temps passé devant la télévision par les enfants est consacré à la publicité.

À ce rythme, à l’âge de douze ans, un enfant aura vu près de 100 000 spots publicitaires, soit quelques 1 200 heures de pub6 – et cela ne prend pas en compte les publicités dans les lieux publics, les placements produit dans les jouets (boîtes à outils Bosch, produits de grande consommation miniature dans les jeux d’épicerie, etc.) ou les packagings des produits de consommation destinés aux enfants.

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Publicité et neuromarketing

Géant économique, géant culturel, la publicité cherche à être à la pointe de la recherche dans le domaine de l’influence. Ainsi, elle se tourne depuis quelques années vers les neurosciences et le neuromarketing.

Dans un article publié en 2016 sur Influencia, le journaliste Benjamin Adler explique que de nombreuses multinationales, parmi lesquelles Coca-Cola, Ford, L’Oréal, McDonalds, Ogivly (une des plus grandes agences de publicité au monde) et Unilever, faisaient souvent appel à la société anglaise Neurosense, fondée par deux neuroscientifiques de l’université d’Oxford, et qui se présente comme « spécialiste du neuromarketing ». Voici un extrait de son site Web :

Depuis 1999, notre équipe de psychologues, de spécialistes du marketing et de la consommation aide nos clients à comprendre les émotions et les sentiments des consommateurs à l’égard de leurs marques, produits, emballages et campagnes de marketing, afin de prévoir leur comportement avec exactitude. Dans ce marché globalisé en rapide évolution, les entreprises exigent des méthodes simples, rapides et rentables, avec des délais de livraison réduits, pour accéder aux perceptions, émotions et sentiments inconscients de leurs consommateurs.

Dans le même ordre d’idée, certaines agences de publicité se servent désormais de la reconnaissance faciale pour analyser les réactions émotionnelles de sujets à la diffusion de certains spots publicitaires – ce qu’on appelle la data comportementale.

Pour en savoir plus, une émission (un peu ancienne) de l’émission « On n’est plus des pigeons », sur le neuromarketing:

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Publicité et développement psychologique des enfants

Face à une telle avalanche publicitaire, on ne peut que s’inquiéter des effets sur le développement psychologique et émotionnel des enfants.

Nous sommes ici face à un effet de seuil. Voir 100 ou 1000 publicités durant toute son enfance n’aura évidemment pas le même impact qu’en voir 100.000. Ce n’est donc pas tel ou tel spot publicitaire qui peut avoir des conséquences mais l’excès d’exposition à un type de message bien particulier qui va avoir un effet sur le développement des enfants.

On peut repérer quatre principales conséquences de la publicité sur le développement psycho-affectif des enfants :

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estime de soi

Montrer des familles parfaites, heureuses à longueur de journée, comme si c’était la norme, n’est pas sans conséquences. L’enfant comparera sa vie à cette information qu’il reçoit toute la journée : il n’est pas aussi beau ou aussi souriant que le garçon de Kinder, sa famille n’est pas au comble de l’euphorie à chaque petit déjeuner comme la famille Ricorée. Comme le dit le psychiatre Christophe André, « les instantanés et les postures de bonheur, d’amour, d’amitié vendus par les publicités sont tellement éloignées de la réalité […] qu’il ne peut en découler que frustrations et déception de soi »7.

La célèbre publicité mettant en scène la « famille Ricorée »

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Frustration

Le bonheur promis par centaines de jouets, voitures, produits ménagers, ordinateurs, télés, etc., va donner envie aux enfants, souvent ciblés, y compris par les publicités a priori pour adultes, de tout avoir. Cela générera de la frustration quand l’objet leur sera refusé… mais aussi, contre toute attente, lorsqu’il leur sera offert. En effet, bien souvent, ils ne ressentiront pas, en ouvrant leurs paquets, le bonheur et l’exaltation qui se lisait dans le regard de l’enfant dans la publicité.

Comme l’explique une brochure éditée par le gouvernement du Québec8, « La publicité peut aussi affecter la santé mentale des enfants. Incité par une publicité, l’enfant voudra répondre à cet appel à la consommation. S’il ne peut pas le faire, sa frustration augmentera et elle pourra le mener à des comportements violents. […] En fin de compte, l’enfant pourrait développer des sentiments de narcissisme et d’insatisfaction »9.

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Représentation du monde

Cette profusion de messages frustrants va également avoir tendance à influencer les enfants dans leur rapport au monde. Comme le souligne Philippe Jeammet, pédopsychiatre et professeur des universités, les messages publicitaires pour enfants « ne font que renforcer l’individualisme, l’intolérance à la frustration au détriment du bien commun »10.

De la même façon, pour Marie Bénilde, auteure d’On achète bien les cerveaux. : « seule la publicité crée dans les têtes une urgence fantasmatique sans laquelle il n’est pas de tension consumériste : c’est parce que je suis sans cesse sollicité par un univers euphorisant, rempli de symboles de bonheur que je tends vers la jouissance de l’acquisition matérielle.15 »

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Publicité, frustration et conflits familiaux

Enfin, la frustration engendrée par la publicité chez l’enfant cause nécessairement des conflits entre les parents et les enfants.

Les disputes entre parents et enfants émergent bien souvent lorsque le parent refuse d’acheter un produit réclamé par l’enfant.

Le professeur Charles Atkins a anis montré que, face au refus d’achat d’un parent, les enfants très exposés à la publicité s’engouffraient dans le conflit 21 % du temps (plus d’une fois sur cinq), contre 9 % du temps (moins d’une fois sur dix) pour les enfants moins exposés12. Cette réaction de l’enfant constitue pour les annonceurs un atout bien connu des publicitaires, qui lui ont même donné un nom : le « nag factor », que l’on pourrait traduire par « le facteur casse-pied ». On parle également de « pester power » (ou « pouvoir du caprice ») pour faire référence au pouvoir très littéral dont disposent les enfants sur les décisions d’achat de leurs parents et dont les quatre à six ans, d’après les professeurs Weiss et Sachs, n’hésitent pas à faire usage13.

La frustration induite par la publicité va donc avoir tendance à augmenter les manifestations de mécontentement et les petites réflexions pénibles des enfants (le « nagging » en anglais), notamment au moment des courses, en particulier – vous l’avez deviné – pour des produits « trop gras, trop sucrés, trop salés » placés fort malicieusement à la hauteur des enfants, mais aussi près des caisses des magasins, lorsqu’on s’ennuie à attendre son tour.

D’après une étude réalisée en 2011 auprès de 150 mères14, une maman aurait à faire face à près de cinq mini-crises (et parfois maxi-crises) de ce genre par jour (soit un total de 10 000 « nags » recensés pour ces 150 mères en l’espace de seulement 2 semaines).

Une crise au magasin

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Publicités et représentations familiales

Dans les familles représentées par les publicités, les rôles ne sont pas laissés au hasard. Très souvent, l’enfant y est décrit comme plus malin, intelligent, libre ou impertinent que ses parents. Dans la pub, c’est lui qui sait quel yaourt choisir et quelle voiture est cool (voir par exemple la publicité The Big Arrival pour la Volkswagen Tiguan). Il est présenté comme le prescripteur d’achat à a pointe des dernières tendances, alors que, dans la réalité, c’est le seul membre de la famille qui n’a pas le sens critique suffisant pour prendre du recul face au message publicitaire. Comme le remarque le psychiatre Serge Tisseron, professeur à l’Université Paris VII : « Certains spots font passer les parents pour des attardés et les enfants comme les membres les mieux informés ou les plus à la mode de la famille. Du coup, cela renverse les rôles, ce qui est troublant pour l’enfant ».

Cette image du parent tour à tour hors du coup, pas si intelligent que cela, ou gardien de prison, déjà bien souvent ressentie par l’adolescent notamment lors de la fameuse phase de la « crise » au cours de laquelle il cherche naturellement à prendre un peu de liberté, ne peut qu’aggraver les rapports parents-enfants.

« The big Arrival »

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Peut-on éduquer les enfants à la publicité ?

Face à ces risques de plus en plus importants, de nombreux articles conseillent aux parents ou aux enseignants d’éduquer les enfants à la publicité. De leur expliquer l’objectif de la publicité, et sa différence avec le reste des médias (jeux, dessins animés ou autres).

Le problème c’est que les résultats d’une éducation à la publicité sont extrêmement minces. En effet, comme l’explique Sandra Calvert, le développement cognitif immature des enfants en-dessous de huit ans limite fortement leurs capacités à comprendre l’intention persuasive des publicités – ils n’y voient encore qu’une intention informative, et donc vraie.

En outre, passé huit ans, « les enfants peuvent devenir cyniques, à mesure qu’ils commencent à comprendre le message persuasif sous-jacent des publicités. Par exemple, des élèves de sixième et de quatrième qui comprennent mieux les pratiques commerciales (comme la recommandation du produit par une célébrité) sont plus cyniques vis-à-vis du produit.16 » De plus, poursuit Calvert, « les enfants qui sont fréquemment exposés à des messages attractifs sur l’aspect « fun » de certains produits les désireront malgré tout, même s’ils ont conscience des techniques de vente de l’annonceur17. Autrement dit, même si les enfants – et les adultes aussi d’ailleurs – savent que la publicité dépeint un produit de manière trompeuse, ils le désireront tout de même ».

L’éducation n’est donc en rien une solution miracle face à cette question et le recours à la législation paraît la réponse la plus simple du point de vue de la santé.

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Conclusion : faut-il interdire les publicités pour enfants?

A plusieurs reprises ces dernières années, des députés ont déposé des projets de lois visant à interdire la publicité à destination des enfants (voir par exemple cet article du monde de 2016). Mais, à l’heure actuelle, la publicité pour enfant n’est encadrée que sur les chaines publiques au moment des dessins animés, ce qui est évidemment une goutte d’eau face à l’ampleur du phénomène.

 

D’autres pays, ont à l’inverse adoptés des lois beaucoup plus restrictives. Au Canada, par exemple ,depuis 1989, « nul ne peut faire de la publicité à but commercial destinés à des personnes de moins de treize ans » (cf. lapublicité.fr).

Peut-être une loi poserait-elle de nombreux problèmes économiques et qu’il n’est pas possible d’agir à court terme. Il n’en demeure pas moins que l’effet des publicités sur la santé et la psychologie des effets est une vraie question de santé publique. Le manque d’information et d’intérêt des politiques mais aussi des professionnels et des associations de parents n’en est que plus regrettable.

 

Pour aller plus loin:

1. Un débat sur la question de l’interdiction des publicités pour enfant dans l’émission La Quotidienne, diffusée sur France 5:

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2. Une conférence sur la publicité ciblant les enfants avec, Marion Saucet,intervenante , Élisabeth Baton-Hervé, auteure de divers livres et articles sur lapublicité aux enfants et Hervé Kempf, journaliste, initiateur du site ReporTerre:

 

Notes et références

1 https://www.acrimed.org/Quand-les-cerveaux-ne-pensent-pas-a-la-pub-TF1

2 http://www.irep.asso.fr/_files/marche_publicitaire/communique-de-presse-mpf-2017.pdf

3 https://www.programme-tv.net/news/tv/122780-trop-de-publicite-sur-bfmtv-cstar-et-c8-le-csa-les-met-en-demeure/

4 https://www.ipsos.com/fr-fr/que-regardent-nos-enfants

5 https://sergetisseron.com/blog/resister-a-la-conspiration/

7 André, Christophe, Imparfaits, libres et heureux. Pratiques de l’estime de soi, Odile Jacob, Paris, 2006, p. 156.

8 Plus précisément par l’Office de la Protection du Consommateur.

9 https://www.opc.gouv.qc.ca/fileadmin/media/documents/zone_enseignants/VosEnfantsPub.pdf.

10 Philippe Jeammet, cité par : Sapena, Nathalie, l’Enfant jackpot, Flammarion, 2006.

11 Nous traduisons.

12 C. Aitkin, “Effects of Television Advertising on Children,” in Children and the Faces of Television: Television, Violence, Selling, edited by E. Palmer and A. Dorr (New York: Academic Press, 1980), pp. 287–306.

13 D. M. Weiss and J. Sachs, “Persuasive Strategies Used by Pre-school Children,” Discourse Processes 14 (1991): 55–72

14 Holly K. M. Henry, Dina L. G. Borzekowski, « The Nag Factor: Children and Unhealthy Foods », Journal of Children and Media, vol. 5, 2011.

15 Marie Bénilde, On achète bien les cerveaux, Raisons d’agir, Paris, 2007, p .59.

16  D. M. Boush, M. Friedstad, and G. M. Rose, “Adolescent Skepticism toward TV Advertising and Knowledge of Advertiser Tactics,” in Journal of Consumer Research 21 (1994): 165–75.

17  J. Rossiter and D. Robertson, “Children’s Television Commercials: Testing the Defenses,” Journal of Broadcasting 23 (1974): 33–40.

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