Melanie Klein est une des grandes figures de la psychanalyse. Elle est notamment célèbre pour son travail sur la psychanalyse d’enfant et pour ses réflexions sur les psychoses.
Finalement assez peu connu en France, son œuvre reste toujours très actuelle et féconde pour les professionnels.
Une jeunesse marquée par les pertes et les deuils
Née à Vienne en 1882, Melanie Klein fut très tôt confrontée des deuils, comme lorsqu’à l’âge de 4 ans elle perdit sa sœur ainée.
Elle avait des relations très ambivalentes avec sa mère, décrite comme possessive et intrusive, et M.Klein traversa des périodes de profonde dépression.
En 1902, à l’âge de 20 ans, elle perdit également son frère Emmanuel qu’elle aimait beaucoup. Une année plus tard, en 1903, elle épousa Arthur Klein, un ingénieur, dont elle eut trois enfants.
En 1914, Melanie Klein entreprit une première analyse avec Sandor Ferenczi à Budapest, et ce dernier l’encouragea à s’intéresser aux fantasmes précoces ainsi qu’à l’analyse des enfants. En 1919, elle présenta une communication intitulée : « Le développement d’un enfant » (Klein, 1921) qui relatait ses premières observations sur un jeune enfant, en fait son propre fils Éric, et elle devint membre de l’Association psychanalytique hongroise. La même année, Melanie Klein quitta la Hongrie à la suite de troubles politiques et de l’antisémitisme. Elle s’installa à Berlin avec ses enfants, tandis que son mari partait s’installer en Suède. Le couple divorça en 1923.
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La technique de la psychanalyse d’enfant
C’est à Berlin qu’elle mit au point sa technique d’observation des enfants d’un strict point de vue psychanalytique selon ses propres termes.
Elle entreprit alors une seconde analyse avec Karl Abraham, dont la pensée exerça sur elle une forte influence, et par la suite elle se réclama toujours de lui, estimant que son œuvre en était une continuation (H. Segal, 1979). Mais son analyse fut interrompue par la mort de Karl Abraham en décembre 1925.
La même année, Melanie Klein fut Invitée à donner une série de conférences à Londres où elle trouva un excellent soutien, ce qu’elle ne trouvait plus à Berlin depuis la disparition d’Abraham. Aussi, lorsqu’elle fut invitée par Jones à séjourner en Angleterre, elle quitta Berlin en septembre 1926 et décida peu après de s’installer définitivement à Londres.
Melanie Klein publia en 1932 La psychanalyse d’enfant, ouvrage dans lequel elle fait un exposé de ses vues nouvelles sur le développement précoce de la fille et du garçon.
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Melanie Klein et Anna Freud
Melanie Klein fut d’abord bien accueillie par ses collègues britanniques. Mais à partir de 1927, Anna Freud développa une conception de l’analyse d’enfant différente et se mit à critiquer Melanie Klein d’une manière de plus en plus virulente (P. Grosskurth, 1986).
Néanmoins, Klein était considérée comme une vraie figure de proue et une novatrice par ses collègues de la Société britannique de psychanalyse et elle eut une influence très importante sur leur façon de travailler (R. Hinshelwood, 2002).
Elle avait commencé de rédiger son article clé sur la dépression qui parut en 1935 lorsqu’elle perdit son fils Hans, âgé de 26 ans, lors d’un accident de montagne en avril 1934. Ce fut une année particulièrement triste pour M. Klein. Elle eut également à subir de violentes attaques de la part de E. Glover, l’analyste de sa propre fille Melitta Schmideberg, et de la part de cette dernière aussi.
Celle-ci, entre autres griefs, accusait sa mère d’avoir été la cause du suicide de son frère, alors qu’il s’agissait vraiment d’un accident. Mais la plus forte opposition devait s’organiser à partir de 1938 avec l’arrivée à Londres d’Anna Freud, qui avait fui avec son père la montée du nazisme.
Dans le but de confronter les positions théoriques des uns et des autres et de préciser les conceptions de chacun, la Société britannique organisa en pleine guerre, en 1943, une série de conférences connues sous le nom de « Grandes Controverses » qui suscitèrent de remarquables travaux (P _ King. R. Steiner, 1991).
À la suite d’un gentleman’s agreement, ces débats aboutirent à la formation de trois groupes psychanalytiques au sein de la Société britannique : une école fut créée par Anna Freud, l’autre par Melanie Klein, et un troisième groupe fut constitué par la majorité des membres de la Société qui ne prirent pas position, le « Middle Group » avant de devenir le « Groupe des indépendants » après la mort de M. Klein.
Ces trois groupes distincts subsistent encore à l’heure actuelle, mais les divergences scientifiques entre les membres se sont aplanies (P. King et R. Steiner, 1991).
L’analyse par le jeu dans les thérapies d’enfants
le jeu et le rêve en psychanalyse d’enfant
Melanie Klein fut la créatrice d’une nouvelle méthode de psychanalyse d’enfant. Sur le plan technique d’abord, c’est la technique du jeu qu’elle développa à la base de l’analyse d’enfants, et pas seulement comme technique d’observation.
L’idée de génie de Klein, fut de remarquer que le mode naturel d’expression de l’enfant était le jeu, et que le jeu pouvait donc être utilisé comme un moyen de communication avec l’enfant. Pour l’enfant, le jeu n’est pas simplement un jeu, c’est aussi un travail. Ce n’est pas seulement un moyen de maîtriser ou d’explorer le monde extérieur, mais c’est aussi, par l’expression et l’élaboration des fantasmes, un moyen d’explorer et de maîtriser les angoisses.
Par le jeu, l’enfant met en scène ses fantasmes inconscients et, ce faisant, il élabore et intègre ses conflits (H. Segal, 1979, p. 32). En d’autres termes, le jeu chez l’enfant révèle les mêmes fantasmes que le rêve, mais à la différence de ce dernier il est déjà une épreuve de réalité.
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Le transfert en thérapie d’enfant
Par ailleurs, Melanie Klein pense que l’enfant effectue un transfert immédiat et très puissant sur le psychanalyste, et qu’il faut également interpréter le transfert négatif, contrairement à Anna Freud qui pense qu’il faut commencer par préparer l’enfant à l’analyse en créant une alliance thérapeutique. De plus. Melanie Klein affirme que les méthodes éducatrices préconisées par Hermine Hug-Helmuth ou Anna Freud n’ont pas leur place dans l’approche psychanalytique de l’enfant, et que celles-ci ne peuvent que le perturber.
Pour elle, une Véritable situation psychanalytique ne peut être réalisée que par des moyens analytiques. Peu à peu, de 1919 à 1923, Melanie Klein va préciser le cadre spécifique de l’analyse d’enfant, aménageant un horaire strict, chaque enfant ayant sa boîte de jeux constituée par de petites maisons, par des personnages de chaque sexe et de tailles différentes, des animaux, de la pâte à modeler, des crayons, de la ficelle, des ciseaux.
Pour Winnicott, ce choix fut le progrès le plus marquant dans ce domaine (H. Sega]. 1979, p. 38).
Sur le plan théorique, l’expérience acquise par Melanie Klein avec l’analyse des enfants lui a permis d’avancer des hypothèses qui élargirent considérablement le champ de nos connaissances, notamment en ce qui concerne les phases précoces du développement infantile.
De ce point de vue, on a pu dire que si Freud avait découvert l’enfant chez l’adulte, il revient à Melanie Klein d’avoir découvert le nourrisson chez l’enfant.
Comparaison entre Anna Freud et Melanie Klein
Sur bien des points, Melanie Klein se situe dans la continuité de la pensée freudienne et en accord avec les postulats psychanalytiques de base posés par Freud, comme l’existence de l’inconscient, le rôle joué par la sexualité Infantile, le complexe d’Œdipe, le transfert et d’autres points majeurs.
Cependant, sur d’autres points, les idées de Klein diffèrent de celles de Freud et elle aboutit à des conclusions qui ont été longtemps contestées. Mais aujourd’hui, de nombreux psychanalystes considèrent comme acquises nombre des hypothèses avancées par elle.
Voici quelques points où Klein diffère de Freud.
Par exemple, elle postula très tôt que l’objet est connu dès le début de la vie, remettant en cause la position de Freud qui pensait que le nourrisson ne découvrait l’objet que plus tardivement. Melanie Klein montra également que le complexe d’Œdipe était à l’œuvre bien plus tôt que ne le pensait Freud, et qu’il existait un « complexe d’Œdipe précoce» (1928).
Selon elle, ce complexe archaïque était basé sur les pulsions orales et anales, et pas seulement des pulsions génitales, et il se constitue avec des objets partiels et pas encore avec des objets totaux.
Melanie Klein faisait ainsi du complexe d’Œdipe précoce un élément important de sa théorisation des relations d’objets archaïques. Klein apporte également une description du développement psychosexuel du garçon et de la fille plus complète que celle de Freud.
Elle accorde davantage d’importance que lui à la relation à la mère chez le petit garçon, fixation que Freud voit uniquement chez la petite fille. Sa conception de la sexualité féminine diffère aussi de celle de Freud car celle-ci n ‘est pas pour elle l’équivalent « castré » de la sexualité masculine, mais une sexualité ayant une réalité spécifique, fondée sur une connaissance précoce de l’existence du vagin dans les deux sexes.
Klein décrit aussi l’angoisse fondamentale de la petite fille qui est sa peur d’être dépouillée et vidée de l’intérieur de son corps (1932).
Melanie Klein décrit aussi l’existence d’un surmoi précoce extrêmement sévère dont la constitution était antérieure au complexe d’Œdipe, mais ne lui succède pas comme l’avait postulé Freud. Dans une note de 1930, Freud fait explicitement référence au point de vue de Klein : L’expérience toutefois nous enseigne que la sévérité du surmoi qu’élabore un enfant ne reflète nullement la sévérité des traitements qu’il a subis (Freud, 1930a, p. 98, n.1). Elle sera conduite ensuite à proposer des notions originales comme celles de position dépressive (1935, 1940) puis plus tard de position schizo-paranoïde, puis de celle d’identification projective (1946), notions qui mirent du temps à être comprises et acceptées.
Enfin, relevons que Klein partageait les hypothèses de Freud concernant l’existence d’une pulsion de mort et qu’elle y apporta une contribution importante avec le concept d’ envie primaire plus précoce que la jalousie (Klein, 1957). La notion d’envie permet de mettre en application dans la pratique clinique les conséquences entraînées par le conflit pulsion de vie – pulsion de mort, notion restée essentiellement théorique jusqu’aux développements post-kleiniens.
Source de l’article:
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Cet article est inspiré du passage sur Melanie Klein de Jean-Michel Quinodoz publié dans l’excellent ouvrage :
Lire Freud: Découverte chronologique de l’œuvre de Freud, 2004
Faut-il brûler Melanie Klein?
Cette émission de 1983 au titre ironique est particulièrement intéressante car elle montre les débats autour de la pensée kleinienne dans la théorie analytique du début des années 80.
Les invités sont le célèbre psychanalyste Jean Laplanche, auteur notamment du Vocabulaire de la Psychanalyse, et Jacques Goldberg, un des traducteurs de Melanie Klein en français.
L’émission a été rediffusée dans le cadre de Nuits de France Culture.
Melanie Klein et l’Œdipe
La psychiatre et psychanalyste Monique Lauret expose dans ce séminaire datant de 2019, sa propre lecture des théories kleiniennes sur l’Œdipe.
Un point de vue intéressant qui permet d’approfondir cette question, centrale dans l’oeuvre de Klein et dans l’Histoire de la psychanalyse.
Les séminaires de Melanie Klein: archive audio
Pour finir, et pour ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare, voici un enregistrement de Melanie Klein (le seul que j’ai pu trouver sur internet).
Il s’agit d’un séminaire de 1958 dans lequel la psychanalyste expose ses théories à un groupe de jeunes analystes britanniques.
N’hésitez pas à activer les sous-titres sur la vidéos, la qualité du son étant malheureusement assez mauvaise.
Auteur/Autrice
Psychologue et psychothérapeute en cabinet libéral et en CMPP, Vincent Joly est professeur à l'université Paris Descartes auprès des étudiants de Master. Il a publié avec Pierre Gaudriault : Construire la relation thérapeutique, prévenir l'abandon précoce des thérapies (éditions Dunond).
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