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Psychanalyse et dépendance aux jeux vidéos
La psychanalyse commence depuis quelques années à se pencher sur ce qui se joue dans les jeux vidéos. Malheureusement, il me semble que les psychanalystes ont tendance à calquer une grille de lecture sur ce phénomène sans se préoccuper réellement de ce qui a pu être dit des jeux dans d’autres champs de réflexion. La narratologie apporte, par exemple, un regard sur les jeux qui pourrait intéresser la psychanalyse. En effet, son discours porte encore trop souvent sur « les jeux vidéos » sans prendre en compte leur diversité. Or il me semble que tous les jeux ne provoquent pas, par exemple, le même type de dépendance.
narratologie et ludologie
Pour commencer, la narration renvoie à la manière dont un jeu raconte une histoire. Par exemple, un jeu comme Rayman me raconte l’histoire, linéaire, d’un petit bonhomme sans bras ni jambe avec un air un peu crétin qui doit battre le méchant Globox. Dans ce cas, la narration du jeu est assez simple et l’histoire racontée par le jeu est à peu près la même pour tous les joueurs. Ce n’est pas le cas dans d’autres jeux, comme Fallout par exemple, dans lesquels les joueurs sont plus libres. La définition de ce qu’est la narration peut être plus ou moins extensive et elle suscite de nombreux débats entre ludologues et narratologues.
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Variété des narrations dans les jeux vidéos
En prenant une définition assez large de cette notion, on peut classer les différents types de jeux en fonction de leur mode de narration.
Certains jeux ont une narration ouverte (on parle de jeux « bac à sable », comme Les Sims, Sim city ou Black and White), d’autres une narration fermée (jeux linéaires comme Myst, par exemple) voire une quasi-absence de narration (type mini-jeu façon pac-man dans lequel l’univers crée est un univers graphique et non un univers écrit). Certain jeux sont construits sur une narration semi-ouverte (à mi-chemin entre le bac à sable et le jeu linéaire comme dans les jeux de rôle) ou encore une narration commune dans un univers construit (les mmorpg, jeux de rôle en ligne réunissant des milliers de joueurs, adultes ou adolescents comme wow).
Il me semble que nous avons là les cinq grands types de narrations écrites. Mais il existe aussi des narrations non-écrites. Quelle est la narration d’un jeu de stratégie en temps réel (comme Starcraft) par exemple ? Elle ne se confond pas avec la trame narrative qui relie les missions entre elles, elle s’écrit aussi pendant les missions. Dans ce cas la notion de narration renvoie à l’histoire que le joueur écrit et non à celle que le jeu raconte.
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Le type de récit construit par le jeu modifie le risque de « ne plus jouer » et de s’enfermer dans des boucles de dépendance
Or, et c’est là que je voulais en venir, en fonction de ces différents types de narration l’investissement du joueur sera différent. Pour le dire en des termes plus psychanalytiques, la manière dont le jeu sollicite l’activité pulsionnelle et fantasmatique du joueur différera en fonction de la façon dont le jeu raconte l’histoire que vit le joueur. Il pourrait donc être intéressant de rapprocher ce que la psychanalyse dit des jeux vidéos, des réflexions des narratologues et des ludologues.
Pour ne prendre qu’un exemple, la dépendance aux jeux ne se construit peut-être pas de la même façon dans tous les types de jeux. En effet, ce n’est pas la même chose de jouer obsessionnellement à tetris toute la journée et de jouer à un jeu qui déploie un récit avec un début, un milieu et une fin (comme les jeux d’aventure type point-and-click, par exemple). De la même façon, le type de dépendance aux jeux vidéos ne sera pas la même selon que l’on fait 100 fois la même action dans un jeu ou que l’on suit l’histoire narrée par ce jeu.
Mieux comprendre les jeux vidéos pour éviter les raccourcis hâtifs des « psys »
Je pense que faire cette distinction permettrait de lever certaines confusions qui me semblent exister dans les écrits sur les jeux vidéos.
Le discours psychanalytique a tendance à accuser les jeux vidéos d’enfermer le joueur dans un univers irréel qu’il risque de préférer à la réalité. Je ne suis pas sûr que ce danger soit le principal moteur de la dépendance aux jeux.
Je me demande, par exemple, si certains joueurs dépendants ne répètent pas 100 fois la même action dans un jeu vidéo de sa trame narrative. Par exemple, un joueur dans World of warcraft passera sa journée à construire des épées pour accumuler de l’argent dans le jeu sans plus réellement se soucier de tout ce qu’il pourrait faire d’autre dans le jeu. Dans ce cas, le jeu est donc moins un univers fantasmatique que le support d’un toc. Il est même possible (je n’ai pas les moyens de vérifier cette hypothèse) que la dépendance aux jeux prenne le plus souvent cette forme. Dans ce cas, elle s’installerait dans des jeux construits préférentiellement selon un certain type de narration : la narration quasi-nulle (casual gaming type tetris) ou la narration ouverte ou semi ouverte (jeux de type jdr, mmorpg dans lesquels le joueur peut perdre la trame narrative pour répéter compulsivement des actions identiques).
Pour aller plus loin:
OMNSH: Un collectif de chercheurs en sciences humaines et sociales qui étudient les technologies numériques.
Psyetgeek: Le très bon site de Yann Leroux
Pour en savoir plus sur la théorie des jeux vidéos:
Pour celles et ceux qui souhaitent mieux comprendre la théorie des jeux vidéos, je ne saurais que trop conseiller la série de vidéos de Sebastien Genvo, Maître de conférence à l’université de Metz, qui sait se montrer à la fois pédagogue et précis. Ci-après deux épisode sur la narration dans les jeux vidéos:
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