violence institutionnelle en milieu scolaire – par Lucie Lespinasse

Remarque: Cet article est extrait du mémoire de recherche de Lucie Lespinasse intitulé: « La souffrance psychique des adolescents en milieu scolaire : entre déni et alibi ?« 

Même s’il dresse un portrait assez sombre de l’institution scolaire, il ne doit pas faire oublier que l’école est aussi un lieu d’épanouissement pour de nombreux élèves. Le propos n’est donc pas tant de condamner « l’éducation nationale » mais de réfléchir à la violence intrinsèque et indépassable de toute forme d’éducation. N’hésitez pas à consulter le mémoire de L. Lespinasse pour de plus amples informations sur ce sujet.

violence de l'école: une série de crayons bien alignés

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Violence à l’école et violence de l’école

Quand on y réfléchit il y a énormément de choses qui peuvent être violentes à l’école.

Les apprentissages, les rythmes, les moqueries des enseignants et des élèves, le bouc émissaire, la difficulté d’intégration, les brimades (toilettes fermées, élèves à qui on enlève sa table pour travailler), la pression des enseignants sur l’orientation.

Ce qui est perçut comme violent à une époque peut être perçu différemment à une autre. Cette perception est donc liée à l’époque et à la société dans laquelle on vit. Il existe plusieurs formes de violences : subjective et objective (en lien avec le ressenti) et la violence symbolique / violence institutionnelle (existence d’un décalage de l’école avec la vie des jeunes, le cadre, sur le personnels et les élèves) (Cécile Carra « Derrière l’évidence de la violence à l’école » 2011).

Depuis 2001, à travers le dispositif SIGNA, puis SIVIS à partir de 2007, le Ministère de l’Éducation Nationale prétend recenser l’ensemble des violences graves dans l’ensemble des établissements scolaires secondaires. Or les violences sont exclusivement le fait des élèves, les violences des adultes et de l’institution sont totalement écartées de ces enquêtes.

Daniel Calin (2014) souligne l’existence d’une violence structurelle de l’institution scolaire, qui fonde et justifie son existence. Elle se manifeste explicitement par le principe de l’obligation scolaire. « École obligatoire, programmes obligatoires, horaires obligatoires, contrôles permanents, murs, portes, etc., » l’institution scolaire est très lisiblement une institution où s’exerce une contrainte constante et puissante sur les jeunes esprits et les jeunes corps qu’elle « accueille » .

En effet, toute éducation repose sur la nécessité de contraindre les impulsions spontanées du psychisme humain pour favoriser la vie en commun. Néanmoins, on pourrait discuter à l’infini de la question de savoir ce qui est strictement nécessaire dans la contrainte constitutive de l’école et ce qui relève d’une surcontrainte dont on pourrait ou devrait se passer. Il existe des violences quasi constantes induites par les principes organisationnels de l’institution elle-même. (« placer un enfant en situation d’avoir à apprendre quelque chose qu’il n’est pas en état d’apprendre ») d’autant plus destructrice qu’elle est fréquemment répétée indéfiniment pour les mêmes élèves, ceux qui sont d’emblée les plus éloignés des attentes scolaires. Cet auteur souligne également , une évaluation qui « objective » l’échec de l’élève et apporte une réflexion sur les violences personnelles des enseignants à l’encontre de leurs élèves (comme leur vocabulaire, les appréciations, etc.).

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école: une petite fille dessine au crayon gras

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Les 7 violences de l’école selon B.Defrance

Le philosophe Bernard Defrance comptabilise sept violences que l’école inflige aux enfants (2013) :

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1. L’exclusion du domestique du champ éducatif.

Par exemple : les éducateurs donnent des punitions dites « éducatives » comme ramasser les papiers dans la cour. Mais nous devons réfléchir sur l’effet de cette pratique pour celui dont le père est « technicien de surface» ou la mère femme de ménage…

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2. L’inversion entre apprentissages fondamentaux et instrumentaux

Elle aboutit à la perte de sens de l’instruction des savoirs sauf pour les enfants qui peuvent compenser en famille. On n’apprend pas à se servir d’un instrument (calcul, textes fondamentaux…) si on ne sait pas d’abord à quoi il doit servir. Le travail est alors uniquement tourné vers les performances susceptibles d’évaluations quantifiées.

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3. La pénalisation des apprentissages,

La seule motivation possible est extérieure au sujet et crée la confusion entre les procédures judiciaires civiles et le pénal (les tâches à accomplir sont des devoirs, les notes sont bonnes ou mauvaises au lieu d’être élevées ou basses, il faut rester attentif au double sens des mots « leçon » « correction »). Le Savoir est perverti par les usages sociaux des diplômes, la culpabilisation et l’intériorisation des causes de l’échec.

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4. Les morcellements des emplois du temps et de l’espace scolaire.

Chaque jour, chaque semaine se répètent de manière monotone, chaque enseignant a un mode de fonctionnement différent, le poids du sac, les cinq minutes d’interclasse où les retards sont réprimandés. Tout cela représente des absurdités dans la détermination des effectifs ; on reste prisonnier du carcan de la « classe » (alors qu’on devrait s’adapter au travail, à la matière, au contexte…).

Comme le témoigne une professeure: « Quelques exemples, concernant le sort malheureux des professeurs de musique ou d’arts plastiques en collèges ; vingt classes, une heure par semaine, généralement en fin de journée ce qui permet d’utiles défoulements du hachis qui a précédé : le temps de faire asseoir les gamins, l’heure est terminée… Pourquoi pas vingt stages dans l’année où le professeur prend les élèves le lundi matin et la semaine se termine par une audition donnée devant les parents – et les camarades – ou une exposition publique des travaux, et on a pris le temps d’aller au concert, de visiter des musées, rencontrer des artistes ».

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5. Le non-respect des exigences du droit.

L’apprentissage progressif des responsabilités citoyennes, l’instauration des dispositifs de participation progressive des élèves dans les fonctionnements institutionnels au sein mêmes des écoles ne sont pas réellement instaurés. Autre exemple, tous les règlements intérieurs commencent par énumérer les « devoirs », lesquels portent sur les fonctionnements institutionnels, les horaires, les apprentissages, les tenues, etc., alors que les droits sont cantonnés à la sphère associative.

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6. L’absurdité des cursus, l’étanchéité des « filières » et les orientations à l’aveugle

Ce sont les conséquences des mécanismes de notation et de pénalisation des apprentissages signalés. Il existe plusieurs méthodes d’évaluations, mais le système scolaire n’utilise que la notation chiffrée. Or on sait qu’elle ne mesure pas réellement les savoirs acquis, néanmoins, c’est avec elle que l’on décide des orientations scolaires et ensuite professionnelles.

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7. La séparation instituée entre savoir et éthique

C’est-à-dire qu’une instruction scolaire réussie ne garantit en rien les qualités morales et citoyennes du sujet. Il s’agit de prendre en compte ces violences dans l’analyse de la souffrance psychique des adolescents. La violence institutionnelle dans le monde du travail est prise en compte dans la souffrance psychique des adultes « travailleurs ». Notre présente recherche, dont l’objectif est d’analyser la souffrance des adolescents à la manière de la souffrance au travail, il est donc indispensable de prendre ces différents points en considération. Qui dit violence institutionnelle évoque l’éventail de ses formes, tant physique que relationnelle, vis-à-vis de l’autorité, de l’autre, des groupes, etc.

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