Daseinanalyse et phénoménologie

Il est important de comprendre les ancrages philosophiques de la daseinsanalyse car cette pratique est d’abord – historiquement et logiquement – une transposition de la phénoménologie. Binswanger a cherché à déplacer (et de ce fait même à infléchir) la réflexion phénoménologique, en particulier celle de Husserl puis d’Heidegger, dans le champ psychiatrique.

daseinanalse et psychanalyse, des figures enchâssées

 

I L’influence de Husserl

A/ Présentation

 

La phénoménologie est considérée par nombre de commentateurs comme le plus important courant philosophique du XXe siècle, d’aucun lisent même son histoire au cours des cents dernières années comme la relecture et le commentaire de l’œuvre d’Husserl.

Le père de la phénoménologie a vécu en Autriche, il est notamment célèbre pour ses Recherches logiques et sa Leçon pour une phénoménologie de la conscience intime du temps.

La question au fondement de la phénoménologie est la suivante : comment penser la perception ? Pour Husserl je suis encré dans les choses je ne perçois que ma perception loin d’être immédiate, repose sur un grand nombre d’a priori. Une double question se pose alors : Comment percevoir autrement – comment dépasser cette attitude spontanée et percevoir la chose telle qu’elle est phénoménalement, non telle que nous croyons la connaître ? Ensuite, quels sont les processus qui structurent ma perception ?

Pour répondre à ces questions, Husserl utilise une méthode : la réduction.

 

B/ La réduction eidétique

La réduction eidétique doit permettre de retrouver l’essence du phénomène. Elle se divise en deux étapes :- L’épochè consiste à mettre entre parenthèse ses conceptions sur le monde – et sur l’existence même du monde. Cette attitude est à rapprocher du doute méthodique de Descartes sauf qu’ici il s’agit d’une suspension du jugement.

– La variation eidétique consiste à faire varier toutes les perspectives que l’on peut porter sur un phénomène et ainsi d’en déduire une constante : l’essence du phénomène.

 

C/ La réduction transcendantale

La réduction transcendantale permet de dé-couvrir les structures a-priori de ma perception. Je me regarde en train de regarder et ce retour sur moi-même et ma perception me permet de comprendre les structures de ma perception.Le problème de la phénoménologie husserlienne est qu’elle est centrée sur le sujet. Je fais apparaître le phénomène. La chaise que je perçois ne me préexiste pas comme étant, elle m’apparaît en tant que phénomène de ce fait qu’elle est « éclairée », perçue par une conscience qui la fait advenir. Mais dans ce cas, qu’en est-il de l’homme ? Peut-on dire qu’autrui ne m’apparaît qu’en tant que je le perçois.

Cette question est reprise par Heidegger dans Sein und Zeit, publié en 1927.

 

II. L’influence de Martin Heidegger

Heidegger, élève de E.Husserl, se place dans la continuation et le dépassement de l’œuvre de son maître. Sa réflexion marque une inflexion très profonde de la phénoménologie.

Tout d’abord, l’homme est défini comme un existant. L’homme ek-siste il est posé (sistere) hors (ek) de lui-même, en devant de lui, tout près des choses. L’homme est donc un phénomène différent des autres phénomènes dont il convient d’étudier la spécificité.

Tout d’abord, l’homme est un Dasein – comme l’ensemble des phénomènes – il est toujours-déjà-là. En effet, je suis avant de me penser être, j’ai été avant de penser, ma pensée ne me fait pas advenir à l’être.

Mais l’existant-homme diffère des autres Dasein (des autres phénomènes) pour deux raisons :

– Tout d’abord l’homme se comprend (verstehen), il peut faire retour sur lui-même et se regarder en train d’agir.

– Ensuite, il peut se pro-jeter, se jeter au devant de lui-même, il s’imagine être ceci ou cela, il n’est pas figé dans le réel mais peut – et ne cesse d’- envisager le possible. Comme l’écrit Sartre dans L’Être et le Néant, « je suis ce que je ne suis pas et je ne suis pas ce que je suis ».

 

III. Inscription de l’œuvre de Binswanger dans l’Histoire de la phénoménologie.

 

De même qu’on dit des pièces d’un meuble qu’elles jouent, il y a du jeu entre les pensées de Husserl et de Heidegger, elles ne sont pas strictement superposables. C’est dans l’espace qui sépare l’œuvre des deux hommes que travaille Binswanger, qui déplace cet écart, ce creux dans un domaine autre : celui de la psychiatrie et, plus généralement de la psychologie.

Pour Binswanger les classifications nosographiques psychiatriques réifient l’individu, elles en font un être figé, reprenant la pensée d’Heidegger, on peut dire qu’elles nient sa capacité à exister, à se déprendre de lui-même.

Ensuite la psychanalyse comme la psychiatrie utilisent un appareil théorique fort. Pour Binswanger, elles ne s’interrogent pas sur la place à partir de laquelle elles parlent. Binswanger préconise, comme Husserl, l’épochè, la suspension de ses propres connaissances pour appréhender tout phénomène.

Binswanger va aussi définir les différentes maladies comme autant de modalités d’existence. Il utilise alors le terme husserlien d’idéal type, chaque maladie, loin d’être une entité figée, est une manière d’être au monde. Le psychologue doit de ce fait – comme Heidegger dans sa phénoménologie – étudier la façon qu’à le sujet de s’inscrire dans un temps et dans un espace qu’il perçoit d’une manière qui lui est propre.

Daseinanalyse et phénoménologie

10 thoughts on “Daseinanalyse et phénoménologie

  • 11 octobre 2009 at 2 h 06 min
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    tres interessant et comprehensible. Je souhaiterais d’autres developements et, effectivement des commentaires pour aller plus avant dans le travail de reflexion.
    merci pour cette publication FP

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  • 11 octobre 2009 at 15 h 07 min
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    Merci,
    il n’y a malheureusement que très peu de choses disponibles sur internet concernant la daseinanalyse.
    A noter toutefois:
    – Le site de l’école belge de daseinanalyse : http://www.daseinsanalyse.be/pagina.htm
    – Un article très intéressant de J.C.Marceau sur le rapport de la psychanalyse à la phénoménologie :
    http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CM_064_0227

    J’espère pouvoir un jour écrire d’autres articles sur ce sujet que je trouve très intéressant mais au vu de mon programme pour le moins chargé ce ne sera sans doute pas avant Janvier 2010..

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  • 12 janvier 2010 at 1 h 14 min
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    Alors Vincent, maintenant que nous sommes début 2010, qu’en est-il de ton programme ? Pour ma part je suis en plein dans l’introduction à l’analyse existentielle comme tu m’en avais suggéré la lecture, et je dois avouer que la pensée est remarquable.

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  • 4 mai 2010 at 18 h 44 min
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    Bravo, cher collègue. Enfin, quelqu’un qui n’inféode pas Binswanger, Daseinsanalyse à psychanalyse. J’écris pour l’instant un article suite à une phrase que j’ai entendu dernièrement lors d’une conférence :  » La Daseinsanalyse est la fille bâtarde de la psychanalyse »… Trop, c’est trop… Au plaisir de vous lire ou communiquer.

    Ado Huygens, Vice-président de la fédération internationale de Daseinsanalyse et président de l’école Belge.

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  • 7 mai 2010 at 6 h 41 min
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    @Ado Huygens:
    Merci pour ces compliments.
    Pour le reste, je vous rejoins tout à fait. Il est vrai que la psychanalyse a trop tendance a penser le champ des thérapies avec les yeux de la psychanalyse, se mettant ainsi dans cette place hémégonique qu’elle reproche par ailleurs à la neurologie..
    N’hésitez pas à nous reparler de votre article lorsqu’il sera publié, car le débat autour du rapport entre psychanalyse et daseinanalyse pourrait être très intéressant..

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  • 25 mai 2010 at 14 h 25 min
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    Merci de me tenir informé des nouvelles publications

    Cordialement

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  • 14 septembre 2016 at 10 h 28 min
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    Je ne parviens jamais à me faire une idée sur la différence entre le champ d’application de la réduction eidétique, accouchant d’essences, et l’intuition catégoriale, chez Binswanger, allant droit à l’essence.
    Que d’essence !
    Qu’en pensez vous, de cette errance ? Merci !
    A.GILLIS

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  • 17 novembre 2016 at 11 h 41 min
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    La réduction est le « retour aux choses mêmes ».
    Il me semble que l’apport fondamental de Husserl est l’intuition catégoriale, saluée et développée par Heidegger. Pour son champ d’application, on peut se référer au Séminaire de Zürich, ou – plus simplement – à Médard Boss. Bien à vous, Jacques Dupont-Duquesne

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